Could I have an autograph, please ?

Comme prévu ce jour-là, je devais me rendre pour faire les courses et revenir à la maison m'en occuper un peu. C'était la même routine chaque samedi, j'avais commencé par m'occuper de Benjamin et puis je me suis occupé de la maison. Il ne me manque plus qu'à faire l'extérieur de celle-ci et tout devrait être comme cela doit être.

William m'avait laissé une note avec toutes les courses que je devais apporter. Il y avait de tous des œufs comme des poires. Il fallait seulement des repas bien équilibré pour mon jeune futur propriétaire. Je pris un cabas avec moi et partis à pied pour le magasin qui se trouvait seulement à quelques pas d'ici.

Après être sorti du magasin avec tout ce dont j'avais besoin, je passais à Times Square pour y prendre quelques photos. Jusqu'au moment où je vis un visage familier, grâce à mon programme et ma mémoire plus qu'immense je le reconnu tout de suite. Il s'agissait de l'auteur réputé Jefferson Bane. Benjamin adorait lire ses livres, c'est ainsi que mes pas m’amenèrent vers le jeune homme.

-Monsieur Bane, bonjour, j'aimerai si cela était possible avec vous avoir un autographe s'il vous plaît.

Cela ferait sûrement plaisir à Benjamin et il m'en ferai baver s'il savait que j'avais laissé passer cette occasion en or. Je l'avais inscrit dans mon programme, la dernière fois Benjamin avait voulu un autographe d'un grand physicien de renom également. Je l'ai noté dans ma carte mémoire pour pouvoir demander des autographes à toutes les personnes dont il apprécie le travail.

Je sortais déjà un calepin avec un stylo et lui montrait la page dont il pouvait apposé sa signature. Le jeune homme avait l'air pris de cours, l'avais-je après tout dérangé. Était-ce le mauvais moment pour lui demander sa signature. À Times Square ce n'est pas comme s'il y avait trois milliards de choses à faire. Des touristes y venaient généralement pour y prendre des photos comme j'ai pu le faire à l'instant.

-Excusez-moi, je vous dérange peut-être ?

Je ne voyais pas spécialement ce que faisait le jeune homme ici, mais si je le dérangeais il était dans mes obligations d'abandonner cette mission. Même si mon jeune propriétaire m'en voudrait par fond et marée. Je commençais déjà à ranger le calepin, ne voulant pas dérangé monsieur Bane plus longtemps que prévu.

Pourquoi un écrivain s’assoirait-il dans un café de Times Square ? C'est plein de monde, ça déborde de vie, même à une petite table sur le trottoir, les gens vont et viennent dans tous les sens mais c'est précisément un univers que j'aime. J'adore cette agitation, tous ces visages, toutes ces expressions. Mon imagination divague, s'enflamme en cet endroit et je rêve doucement à ce que je vois. Pourquoi cet homme en complet gris soigneusement ajusté est-il en train de pousser ce long et intense soupir avec cet air sérieux ? A-t-il raté une opportunité en or ? Son entreprise aurait-elle simplement décidé de se séparer de lui pour une raison ou une autre ? Tant de possibilités. Et cette femme à côté de l'androïde ? Pourquoi prend-elle un air si sombre lorsqu'elle s'adresse à lui ? Ses mots semblent polis mais son regard s'imprègne de noirceur en regardant son androïde, aurait-elle fait un androïde au visage d'un membre cher de sa famille qu'elle aurait perdu ? Cet androïde qui regarde à droite et à gauche serait-il en fait un déviant qui cherche à échapper à quelqu'un ou cherche-t-il justement quelqu'un dans la foule ? Tant de possibilités, tant de choses à supposer et rêver, jusqu'à se demander d'où viennent les innombrables tatouages de la serveuse. Aucun ne semble raccord avec l'autre, l'un est une tête de mort, l'autre un somptueux papillon, il y a une fleur somptueuse venue des îles qui côtoie un serpent à l'air agressif, prêt à bondir. Pourquoi ces tatouages ? Et son accent ? Mon imagination travaille dans cette foule alors que je bois mon café en observant sans réfléchir à rien, simplement à penser à tout et à rien. Jusqu'à ce que quelqu'un interrompe le fil de mes pensées. Je relève les yeux sur une androïde et ses mots mettent du temps à atteindre mon cerveau. Elle me sert du Monsieur Bane, ça fait tellement pompeux. Elle me demande un autographe et là franchement, un grand blanc dans mon cerveau.

En regardant ma tasse de café pratiquement vide, mon regard se vide comme mes pensées s'emplissent de souvenir, ceux d'une belle soirée. Beaucoup de rires, un peu de lecture, cinq mois plus tôt. Cette soirée dont j'étais rentré pour trouver ma femme tuée par un cambrioleur, mon androïde sur le point de se désactiver. Je n'avais pu sauver que l'androïde mais elle attendait, en veille, dans une boutique de Talos en attendant que je la récupère. De mauvais souvenirs, ceux des derniers autographes que j'avais signé, depuis j'avais évité les conférences, j'avais évité les soirées lectures, les journées dédicaces.

Je reviens à la réalité en voyant l'androïde me tendre un stylo et un calepin mais mon esprit est encore ailleurs, jusqu'à entendre ses mots qui me ramènent définitivement sur mes terres. Je l'observe un bref instant, un visage parfait comme tous les androïdes, sa petite LED bleue sur la tempe alors qu'elle est sur le point de ranger le calepin et le stylo. Je tends ma main, attrape la sienne dans son mouvement avec douceur pour ne pas lui faire mal. Je me saisis du stylo et du calepin.

« Pardon, je pensais à autre chose. Vous ne me dérangez pas. »

Je fais tourner le stylo entre mes doigts, observant le calepin puis reportant mon regard sur l'androïde qui attendait sagement.

« A quel nom dois-je le faire ? »

La question n'était pas si innocente que cela, était-ce un autographe pour elle ou pour son propriétaire. La logique était, bien sûr, que ça ne soit pas pour elle mais j'avais passé ces derniers mois à ne faire qu'observer les gens, plus particulièrement les androïdes et cela pour tenter de comprendre comment ils fonctionnent. Ma première conclusion était simple : ils ont les mêmes envies et désirs que les humains, on leurs interdit tout simplement dans leur programmation.

-Pour Benjamin s'il vous plaît.

Après avoir signé l'autographe me vint toutes les questions que mon propriétaire avait eues à la fin de la lecture du roman de monsieur Bane. Il en avait parlé pendant des heures durant à s'imaginer des théories sûres pourquoi l'antagoniste avait-elle fait ceci ou cela. On aurait dit qu'il faisait une thèse quand il eut fini de tout m'énoncer.

-Je vous remercie. J'avais cependant quelques questions, si cela est possible puis-je en discuter avec vous ?

Il accepta ma demande et mon programme me rappela toutes les questions de mon jeune propriétaire. Je restais debout pour ne pas gêner encore plus monsieur Bane, déjà qu'il avait l'air pris de cours, mon programme m'indiqua qu'il n'aimait peut-être pas les androïdes. C'est ainsi que je restais à ma place et posa mes questions.

-Comment l'antagoniste a-t-elle réussi à tenir aussi longtemps sans être démasqué ?

Après tout elle avait réussi à se réintroduire dans le groupe qui lui avait autant fait souffrir, comment a-t-elle fait pour garder un calme Olympien face à ces personnes ?

-Les héros ont bien dû se dire à un moment qu'elle était derrière tout ça, après tout, les sorcières n'existent pas et votre roman est un thriller-réaliste ? Après tout c'était la seule qu'ils avaient fait souffrir autant, alors pourquoi ont-ils mis autant de tant à comprendre qu'elle était derrière la tuerie ?

Les mots de mon propriétaire furent les suivants : Soit les héros sont stupides, soit je ne comprends rien à ce livre. De plus, aucun d'entre eux n'a l'instinct de survie. C'est un cliché de film d'horreur le chalet dans les bois, la voiture qui ne marche pas, le téléphone coupé et j'en passe.

-Dans le roman il existe des passages où l'antagoniste et la sorcière sont à deux endroits différents au même moment, comment y parvient-elle ?

Un autre mystère de ce fameux roman, Benjamin avait fait une fixation sur ce livre pendant un moment. Peut-être avait-il un esprit trop scientifique et pas assez abstrait pour comprendre entre les lignes de ce livre.

-La sorcière était-elle une allégorie des anciens malheurs qu'a traversée l'antagoniste et intervenait quand l'un d'eux se moquait d'elle et donc attendait sa victime à un endroit différent de l'antagoniste pour ne pas invoquer de soupçons ?

Si la sorcière était donc une représentation des moqueries de ses anciens camarades alors tout s'expliquer, mais à la fin il est dit que l'antagoniste est derrière tout ça. Comment a-t-elle réussi à tuer autant de personnes toutes seules, sans l'aide d'un coéquipier ? C'était également l'une des questions de mon propriétaire mais il m'a dit de laisser tomber après ça il n'a plus jamais reparlé du livre.

-Mon propriétaire avait un réel questionnement sur la sorcière, est-elle réelle ou est-ce une allégorie de la souffrance de l'antagoniste? Et donc ma dernière question était-ce une vengeance dans la tête de l'antagoniste ou tout cela était en fin de compte bien réel ?

« Je n'aurai jamais deviné. Vous ressemblez plus à une Rose ou une Hadley qu'à un Benjamin. »

Je lui souris, sans trop savoir si une androïde pouvait saisir la plaisanterie que je venais de faire. Beaucoup d'humains considèrent les androïdes comme de simples machines, je voyais au-delà du plastique et des biocomposants, je voyais des personnes à part entière, qui ont besoin d'aide pour grandir et évoluer dans ce monde. Comme des enfants dans des corps d'adultes. C'est étrange d'y réfléchir ainsi mais c'est l'impression qu'ils donnent avec leur candeur prodigieuse. Je réalise l'autographe au nom de son propriétaire comme elle me le demandait avant de l'entendre me demander si elle pouvait discuter un peu avec moi.

« Bien sûr. »

Son propriétaire serait capable de lui faire savoir son mécontentement à grand coup de manche de balai ou batte de base-ball autrement. Je préférais donc prendre le temps de lui répondre que de découvrir demain qu'une androïde a été mise en arrêt et détruite pour ne pas avoir eu le droit de me poser quelques questions. De toute évidence l'androïde n'aurait même pas forcément attendu mon accord et j'écoute ses questions qui ne me surprennent finalement qu'à moitié. Ceux sont des questions que j'ai souvent vu sur internet et le paradoxe est que j'ai pris le temps d'y répondre mais personne ne semble avoir réalisé que c'était vraiment l'auteur qui avait éclairci les divers points soulevés.

Sagement assis, profitant de mon café, je laisse l'androïde poser la totalité de ses questions pour pouvoir organiser un minimum ma réponse. Je sais que beaucoup d'humains n'ont pas forcément le sens de l'hospitalité envers les androïdes mais c'est mon cas. Ce n'est pas parce que la jeune femme face à moi n'est pas faite de chair et d'os qu'elle se doit de rester debout pendant tout le temps que peut durer cette conversation. Je désigne la chaise face à moi d'un geste de la main.

« Je vous en prie, asseyez-vous. Ca me donne le tournis de vous voir debout au garde-à-vous. »

Il y a de l'humour dans ma voix mais je pense chaque mot, elle n'a pas à rester debout sans raison, si je discutais avec n'importe quel humain il serait assis, aurait demandé avant tout l'autorisation de s'asseoir. Certains n'auraient même pas demandé la permission et se seraient permis de s'asseoir. Je réfléchis aux questions qu'elle m'a posée pour pouvoir y répondre clairement.

« Je crois que vos trois premières questions se recoupent. Regardez cet homme assis sur le banc et dites-moi ce que vous voyez quand vous le regardez. »

L'homme que je venais de désigner était un vieil homme qui s'asseyait péniblement, se soutenant lourdement sur sa canne au moment de plier les genoux. Il soupire bruyamment une fois installée et a toutes les difficultés du monde à chercher correctement dans son petit sac le livre qu'il voulait lire. Le temps l'a usé et le léger surpoids qu'il montre semble ne pas l'aider.

« Etre à deux endroits au même moment … oui … cela semble donner beaucoup de mal à beaucoup de monde et pourtant ce n'est pas si difficile. Connaissez-vous le Kansas City Shuffle ? C'est une chanson et une escroquerie. C'est assez simple. Tout le monde regarde vers la gauche. »

Je tourne ma tête vers ma droite, la gauche de l'androïde face à moi et lui indique quelque chose d'un signe de tête … Rien du tout en réalité, il n'y a rien d'intéressant de ce côté mais cette diversion me laisse le temps de tapoter sa main droite.

« Alors qu'en fait tout se passe à droite. Vous n'avez pas besoin d'être à deux endroits à la fois si vous êtes capable de faire croire que vous êtes quelque part alors que vous n'y êtes pas. »

Ses questions sur la sorcière à proprement parler se rejoignent elles aussi aisément.

« Pourquoi devrait-elle être une allégorie ? La sorcière était un moyen, elle était l'outil de la vengeance. Les maltraitances et insultes subies par le personnage principal provoquaient chez elle de la colère mais surtout de la peur. De quoi les humains peuvent-ils avoir peur ? Des monstres, des sorcières, de tout ce qu'ils ne peuvent s'expliquer. Une sorcière était donc une image parfaite non seulement pour faire preuve de violence et de cruauté mais aussi pour instiller une peur terrible et incessante dans la tête de ses victimes. Comment échapper à une sorcière qui peut disparaître dans un nuage de fumée et semble aller et venir à loisir partout où elle veut ? »

Finalement j'en viens à sa dernière question.

« Réel … Un rêve est-il moins réel que le monde autour de nous parce qu'on ne peut pas le toucher ? Je crois que chacun a le droit de choisir si cette vengeance était réelle ou si ça n'était que dans la tête de l'antagoniste. C'est le droit du lecteur, choisir ce qu'il préfère. »

Le jeune homme tenta de faire de l'humour ce que je reconnu sur le coup et fit un petit sourire. Il me proposa ensuite de m’asseoir quelques instants ce que je fis également sans broncher. Il me demanda ensuite de regarder un vieil homme assis sur un banc.

-Je vois un homme dans les 90 ans à peu près. Cheveu blanc, arthrose en surpoids et il lit "Republic" de Plato.

Il me demanda de regarder à ma gauche après m'avoir inculqué des choses sur un certain Kansas City Shuffle et me tapota la main droite. Je lui fis face à nouveau et compris instantanément la technique qu'il venait d'utiliser.

-Je comprends à présent, cependant ça ne marche qu'une seule fois. Mais vu que les protagonistes n'ont pas le droit à une seconde chance... Je comprends mieux.

Il m'expliqua après la totalité de son livre et nous arrivions enfin à la dernière réponse que je pourrais dire à Benjamin.

-Malheureusement, je ne sais pas ce qu'est un rêve. Mon propriétaire pourra peut-être répondre à cette question dont je ne connais absolument pas la réponse.

Les humains rêvent souvent de vengeance m'avait dit William, il demande toujours rétribution quand une personne a fait quelque chose de mal. Nous avions pu philosopher sur le sujet pendant des heures avec Benjamin.

-Je vous remercie de m'avoir accordé un peu de votre temps. Mon propriétaire attendra avec impatience votre nouveau livre avec joie. Passer une bonne journée monsieur Bane.

Je le quittais, pour revenir tranquillement à la maison. Quand j'eus la possibilité de raconter ma trouvaille à Benjamin il était fou de joie. Je lui donnais enfin l'autographe qu'il conserva avec tous les autres.