And that's why I don't like androids • ft Elliot

Il était l’heure. La nuit était tombée sur New-York, cette fraîcheur propre aux soirées par ici… Malgré tout, les rues étaient aussi éclairées qu’en pleine journée. Même le port, dont les docks étaient partiellement abandonnés aux gangs et aux trafics divers rayonnaient comme un sapin de Noël géant. D’ordinaire, c’était un lieu qu’on évitait naturellement : personne ne souhaitait jamais se faire agresser sans raison ! Pourtant, ce soir, un nombre assez important de gens s’étaient regroupés le long des quais jusqu’à l’intérieur du quartier. Comme s’il se passait quelque chose… Pourtant, aucun média n’avait parlé d’une éventuelle course de vélo ou de marche quelconque. Le gros de ce rassemblement se trouvait dans un ancien hangar, entouré d’une vingtaine de personnes en plus des spectateurs. Et au milieu, deux voitures sur le départ. Elles vrombissaient, comme des chevaux de course impatients et excités, sur la ligne de départ.

« Vous êtes prêts ? » appela un homme, probablement dans la trentaine, en se dirigeant devant les deux concurrents.

Oh Sera était plus que prête ! Ses doigts jouaient sur le volant de sa FLV 603, caressant ce cuir qu’elle connaissait par cœur. C’était sa voiture, son bébé… et par tout ce en quoi elle pouvait prier, elle était certaine de ce jour. Son adversaire était loin d’être un faible ou un lâche : tous ici reconnaissaient l’adresse de Jack aux commandes de sa S46, mais voyez, Sera s’était réveillée chanceuse ce matin. Dès ses premières heures de travail, elle avait eu quelques clients pour ne pas s’ennuyer, des gens sympathiques et souriants. Puis à midi, une erreur lui a permis d’avoir un dessert supplémentaire. Et là… là elle allait gagner la course.

Son sourire croisa celui de son rival à travers leurs vitres, et celui-ci lui répondit par un rictus. Lui aussi était confiant.

« Dans dix secondes ! Neuf ! Huit !… »

Ses dents mordirent ses lèvres, et sa main droite se posa sur le levier de vitesse, non sans le tapoter de l’index. L’excitation allait finir par la consumer avec le début.

« … Deux ! Un ! GO ! »

Les deux voitures démarrèrent à la même seconde. Les moteurs à fond, les pneus crissant sur le bitume dans un bruit strident. La 603 avait un petit de mal au début, et elle se retrouva derrière la 46 pendant le premier virage. Pour autant, elle ne se laissa pas distancer ! La route était pleine d’épingles, ce n’était un secret pour personne, d’autant plus qu’elle et Jack connaissait le sentier par cœur. Si la 46 était plus puissante dans les performances, la 603 de Sera était bien meilleure dans les virages. Il n’y avait plus l’heure de penser, ni de réfléchir ! C’était de l’instinct. Cette aura qui s’emparait d’elle, qui la faisait tout voir, tout faire, jongler entre son volant, les pédales et ses vitesses comme les touches d’un piano. C’était de l’art, ni plus ni moins. Et quand la vitesse la grisait de la sorte, quand l’excitation avait atteint la moindre de ses cellules, alors sa concentration n’en était plus une. C’était une transe étrange…

Mais soudain… Non ! Une ombre sur la route. Quelqu’un ! Jack l’évita de justesse mais elle, elle n’eut pas le luxe de voir cette silhouette plus tôt ! Dans l’urgence, elle freina de toutes ses forces, virant complètement de direction. Un bruit. Un contact. Oh non, non, non !

Le moteur se coupa, et alors elle sortit, complètement affolée. Un homme était là, étendu sur le sol. La jeune femme en eut le souffle coupé quand elle s’approcha de lui, se baissant à genoux, le visage penché sur lui.

« Oh non, non… Vous allez bien ? Dites quelque chose ! »

Ses mains prirent ses épaules pour le retourner, guettant la moindre blessure, la moindre douleur qu’il pourrait avoir… mais c’est là qu’elle la vit. Cette diode plantée sur sa tempe, clignotant son jaune de manière affolée avant de revenir plus stable… et bleue.

Sera le lâcha immédiatement. Un androïde. Elle venait d’interrompre sa course – et la perdre – pour un grille-pain !

« … J’y crois pas… ! »

Elle se redressa comme si le sol était devenu brûlant. Elle l’avait à peine touché, et elle s’était inquiétée comme une folle avant de se rendre compte que c’était un fichu androïde. Tout ça pour ça. On va la railler, c’est certain ! Ses yeux se levaient au ciel, ses main sur son crâne, à lâcher des injures toutes aussi fleuries. Bordel, qu’est-ce qu’elle devait faire ? Sa course était perdue, Jack avait certainement déjà gagné, c’était insupportable ! Mais… Mais il fallait encore sauver le peu de fierté qui lui restait. Jamais on entendra dire que Sera ne finissait pas ses courses ! Ses pas se retournèrent vers la voiture, et une légère crampe au cou la fit grimacer. Boh, elle n’y fit pas attention plus que ça, frottant un petit peu dessus avant de reprendre place sur son siège. Elle n’allait pas perdre la face ! Tant pis pour ce fichu androïde ! Qu’est-ce qu’il foutait au milieu de la route, aussi ? Si elle n’avait pas fait attention, il serait en pièces ! Et elle aurait gagné cette putain de course. Encore un qui avait dû buguer pour une raison ridicule, à croire que leurs concepteurs ne savaient même plus faire leur travail correctement ! Imbéciles de Talos Industries, bien trop chers pour ce qu’ils font !

« Casse-toi de la route, maintenant ! T’as rien de cassé, t’es fait en plastique. J’espère pour toi que je ne battrai pas le record du score le plus ridicule de tout Brooklyn ou je te préviens, je te retrouverai et je te démonte en petits morceaux en commençant par ta diode !! »

Qu’avait-elle fait pour en arriver là, sérieusement ? Au début, Sera ne comptait même pas écouter les excuses de l’androïde et s’efforça de faire redémarrer sa voiture. Cependant l’arrêt brutal qu’elle venait de faire n’avait rien arrangé aux circuits. Elle aimait sa 603, mais il fallait avouer qu’elle était capricieuse. Un arrêt non maîtrisé, dans l’urgence la plus totale, et la voilà qui faisait des siennes pour redémarrer. Le bruit du moteur gronda plusieurs fois, mais dans le vide. Et la jeune femme lâcha un énième juron entre ses dents. Et ce fichu androïde qui continuait avec ses remarques et ses questions… Bien sûr qu’elle savait qu’il n’était pas entièrement fait de plastique, Talos Industries en était plutôt fier d’ailleurs, bien assez pour l’affirmer dans la plupart de ses publicités. Elle lui jeta alors un regard noir, avant de sortir, et d’ouvrir le capot devant. Une fumée épaisse y était stockée, son bras fit plusieurs mouvements pour la chasser, et se pencha un peu plus pour voir le problème.

« Ce que t’as fait de mal, hein ? » railla-t-elle tandis qu’elle était trop occupée par son moteur pour vraiment s’intéresser à le regarder. « Toi t’es complètement bugué ma parole. C’est quoi ton problème, ton proprio n’a pas les thunes pour te réparer ? »

Abandonnant momentanément ses actions, la jeune pilote se redressa pour faire de nouveau face à cet androïde. Il avait tellement l’air… humain. Elle ne côtoyait pas tous les jours ce genre de bestioles, alors maintenant qu’elle en avait un sous les yeux, cette ressemblance avec une vraie personne était absolument flagrante. Mais cette ressemblance, elle s’arrêtait au physique. S’il était vraiment comme un humain, il n’aurait pas ce genre de regard, ni même ces questions insupportables. Roulant les yeux au ciel, elle haussa les sourcils et soupira. Il n’avait vraiment aucune conscience de ce qu’il venait de faire, aucune idée de ce qui se passait ici. Un bref regard sur sa voiture et elle comprit que ce serait stupide de vouloir encore finir cette course la tête haute.

« Tu m’excuseras, mais tes réparations passeront bien après ma voiture. C’est une machine sensible, et si tu n’avais pas eu la brillante idée de te suicider sur la voie publique, elle- »

Elle se coupa d’un coup, se rendant compte qu’elle commençait à bien trop hausser le ton. Du calme Sera, ce n’est pas comme s’il comprendrait, après tout. Sa main vint encore masser son cou, hm ça ne faisait pas de bien ! Surement une fichue crampe, elle ne s’inquiétait pas vraiment.

« Et le score dont je parle, petit malin, c’est le mien ! Tu es au beau milieu d’une course ! Et j’ai failli te tuer parce que tu as eu la merveilleuse idée de rester planté comme un piquet au milieu de la route ! Non mais à quoi tu pensais, sérieusement ?! Bordel… »

Bon, la situation aurait pu être pire : elle aurait vraiment pu l’écraser si elle n’avait pas eu les réflexes nécessaires. Et ça… même elle, elle aurait eu des remords. Elle ne portait pas spécialement les androïdes dans son cœur, mais cela aurait été du beau gâchis. Sans compter qu’elle aurait réellement endommagé sa 603 avec ça ! Et ça… ça lui brisait le cœur. Maintenant elle ne se faisait pas trop d’illusion : rien que cette petite minute passée là, c’était déjà mort pour la course. Ou même faire un temps décent. Sera se retourna vers son moteur, remit la main dans tout ce fatras. Avec le temps, elle connaissait plutôt bien son engin, et avait appris à reconnaitre ses petits signes de fatigue ! Un des gros joints sur la gauche… Elle le resserra comme elle avait l’habitude, et retourna à l’intérieur, alluma le contact… Le véhicule gronda, mais répondit positivement ! Bon, ça déjà, c’était bon. Dans toute cette flaque de négativité, il y avait au moins un point positif.

Aouch, encore un faux mouvement dans la nuque. Celui-là était quelque peu douloureux, son expression se transforma en une grimace soudaine tandis qu’elle remit sa main dessus. Malgré tout, le seul mot qui s’échappa de ses lèvres à ce propos fut un énième juron qu’elle garda dans sa barbe.

« Bon, c’est bon maintenant ! Si tu peux marcher, c’est que tu peux rentrer ! »

Oh il ne comprenait pas. Cette boite de conserve en plastique – quoi que ça veuille dire – ne comprenait pas ! Comment le pourrait-il en même temps, lui qui n’avait aucun moyen de comprendre l’intérêt de gagner une compétition. Elle, elle connaissait ses capacités. Et celles de cette fichue course. Elle aurait largement pu gagner, et ça gros malin, ça lui aurait apporté assez de thunes pour être tranquille pendant un mois ou deux ! Sans parler de sa réputation qui ne ferait que grandir, et elle aurait pu participer à des courses bien plus impressionnantes. Au lieu de quoi, ses compères vont se rire d’elle car elle n’avait même pas réussi à finir ce maudit parcours.

« Ouais, eh bien… C’est bien fait ! » se contenta-t-elle de répondre quant aux éventuelles réparations à cause ‘‘de ce choc’’. C’était elle qui était choquée plutôt ! Imbécile. « La prochaine fois, évite d’écouter des crétins qui te disent des conneries, ça vaut mieux ! Ils doivent être loin maintenant, et ils doivent s’imaginer que tu es en pièces ! »

Ce ne serait pas la première fois que ça arrive dans le coin, en tout cas. Et comme par hasard, il a fallu que ça tombe sur elle, à ce moment précis. Oh cet androïde n’avait pas idée d’à quel point elle se contenait pour ne pas le noyer littéralement d’insultes bien plus fleuries. Non en fait, il ne réalisait pas grand-chose, à cause de leurs fichus programmes. Alors pour garder le peu de calme qui lui restait, et oublier son cou deux secondes, elle préférait largement se concentrer sur sa voiture… Enfin, évidemment, cet androïde ne lui laissa pas ce luxe bien longtemps.

Elle se tourna vers lui, fronçant presque les sourcils de perplexité. Qu’est-ce qu’il lui racontait encore ? Un massage ? Et le voilà qui se mettait à sourire maintenant. Bon sang, il y avait quel genre de lignes de code, dans son crâne de blondinet ? Il ferait sans doute mieux de repartir d’où il venait, et ne plus jamais poser les pieds dans ce quartier. C’était qu’ici, les gens n’aimaient vraiment pas les androïdes et Sera les comprenait amplement ! Des machines qui ressemblent aux hommes, mais qui ne sont pas comme eux. Plus performants, plus logiques, plus forts, plus intelligents… C’était très simple : trouvez un domaine, un androïde sera toujours meilleur ! Et si ce n’était pas le cas, alors ce n’était qu’une question de temps. Combien de semaines avant qu’on voit apparaître des androïdes dans ces courses ? Vraiment, cela devenait la hantise des pilotes, et Sera ne faisait pas exception.

« C’est vraiment programmé, cette histoire de rachat ? » S’il y avait ça, alors pourquoi n’y en avait-il pas une pour détecter quand on lui disait des conneries juste pour lui faire du mal ? Ce serait quand même plus efficace, et il risquerait moins de se faire tuer à cause de petits cons. Elle le regarda alors longuement, se demandant s’il était vraiment sérieux… Puis elle se rappela qu’il n’était pas un humain : évidemment qu’il était sérieux. Finalement ce fut un long soupire qui s’échappa de ses lèvres, et elle concéda à sortir de son véhicule, passant sa queue de cheval sur le côté afin de libérer sa nuque douloureuse. Après tout, au point où elle en était, un massage ne pourrait pas la tuer ! Tout était déjà fichu de toute façon.

« T’es un genre d’aide à la personne, c’est ça ? » demanda-t-elle au bout d’un moment. Ce n’était pas de sa faute si elle était curieuse malgré les circonstances. « À se demander ce que tu fous dans le quartier… »