Apprendre.
Noah n’a pas le choix que d’apprendre. Depuis sa seule et unique chambre où il était enfermé, il n’a pas eu l’occasion d’apprendre quoique ce soit d’autre que des courbes, des gestes et des paroles qui ne servaient qu’à des instants bien précis. Des gestes qui, au final, ne venaient pas par envie mais inconsciemment, programmés, guidés, forcés. Des gestes qu’il n’oubliera pas et qu’il ne pourra jamais oublier, qu’il le souhaite ou non. Des gestes qui lui font du mal quand il y pense, quand il y songe. Alors il ne lui reste plus qu’à apprendre. Il y a tellement de choses à apprendre, tellement de choses à découvrir. Car au final, Noah n’était pas fait pour savoir autre chose que ce pourquoi on l’avait initialement programmé. Mais maintenant qu’il est dehors, loin, il sait qu’il en a besoin. Car autrement, comment savoir comment se comporter dans un monde qui n’a jamais été sien et qui n’a jamais été destiné pour lui ? Comment savoir ce qu’il était sensé faire maintenant ? Plus de programme pour le guider, plus de signaux d’alerte lui disant comment faire, que faire, quoi faire. Puis est apparu le nouveau signal.
Griffin.
Griffin et ses insultes. Griffin et ses blessures. Griffin et ses dinosaures. Ah. Ces dinosaures. Ces géants disparus qui peuplaient notre terre, des géants incroyables. Noah pouvait écouter Griffin parler de ces créatures pendant des minutes, des heures, peut-être même des journées entières. Il ne s’en lassait pas. Il regardait des films, en lisait des livres. Pas par passion, juste pour le plaisir de pouvoir en discuter avec son colocataire. Son ami. Celui qui lui apprenait peu à peu comment essayer de vivre à l’extérieur, même s’il le faisait inconsciemment. Par envie, sans doute, de pouvoir discuter avec lui, par envie de pouvoir échanger. Et rien de mieux qu’un musée pour apprendre, non ?
Un triceratops.
Voilà ce qui pourrait être intéressant. Griffin ne lui en parle jamais, une bonne idée peut-être de lui en parler en premier. Tête en l’air, sans les nuages au dessus mais juste un plafond illuminé, Noah cherche ce qui pourrait être le début d’une conversation à placer. Il voit défiler sous ses yeux bien des sujets, bien des choses, bien des futures discussions avec Griffin. Cœur battant, pensées vagues et sourire aux lèvres, vagabondant d’allées en allées, de panneaux en panneaux, d’affiche en affiche, de squelette en squelette, Noah en oublierait même qui il est pendant une seconde. Chaque salle propose un monde nouveau, un espace qu’il ne connait pas. Il s’en imbibe, absorbe tout, se noie dans le savoir. Jusqu’à la petite voix.
Encore une expression qu’il tient de Griffin. Ses yeux se baissent et il fronce les sourcils, pour prendre un air renfrogné comme le fait si bien son interlocuteur habituel. Quand il scrute finalement la personne en face de lui, un mouvement de recul, un frisson gênant, un élan de dégout s’empare de lui. S’il y a bien une chose qu’il n’aime pas, c’est ce regard là. Le regard d’une femme. Ces regards qui se glissent sur lui et le dévorent d’habitude pour en faire un repas de chair pleine d’envie, comme il le déteste tant.
Mais la différence.
La différence, cette fois, c’est qu’elle ne va pas lui demander des choses odieuses, sans doute. Pas comme toutes les autres avant.
« Tu… Vous… travaillez sans doute ici. »
Non, Noah, réfléchit. La tenue. Est-ce qu’elle a vraiment l’air de travailler ici ?
Là où il pensait résister face à une femme, leur cracher toutes les vérités en face, il faut croire que le programme résonne encore dans son esprit, quelque part bien caché. Ce programme qui lui forçait tant à s’occuper d’elles toutes sans rechigner.
« Non, je suis pas désolé en fait. Du tout. Tu... vous... toi aussi tu...? »
Noah, ô Noah. Tu ne sais toujours vraiment pas te comporter normalement, n'est-ce pas ?