Comme au bon vieux temps

Le soleil tapait fort dans ce ciel dégagé. J'étais assis sur ce banc, à l'aise, le regard fixé sur le lointain. Je ne faisais guère attention à ce qu'il se passait autour de moi, mon attention était plus portée sur la personne à mes côtés.

Toujours en vie, vieille canaille ? M'entends-je dire à ce vieil ami que j'aimais croiser dans les bars de cette ville.

Une ville que je connaissais depuis longtemps, tout comme ce vieil ami de dix ans mon cadet. Lui et moi, c'était plus qu'une amitié, c'était une histoire de passion, une passion autour d'une boisson particulière. J'esquissais un sourire, l'un des rares qui était vraiment sincère. Mon regard balaya le parc animé. Des androïdes, des enfants, des humains. Un endroit qui respirait la joie et pourtant, ce n'était que la nostalgie qui m'envahissait.
Et dire que mon fils aurait pu être là, accompagné de sa mère, en train de jouer alors qu'on les regarderait, un sourire aux lèvres.

Le vent se met à souffler, léger. Il s'en vient jouer dans mes cheveux désordonnés. Je fais peine à voir ainsi, fièrement installé sur mon banc mais le visage détruit par un chagrin infini. Je soupire légèrement avant de m'adosser contre le dossier du banc. Cette vie n'était pas pour moi. Trop moderne, trop rapide. Puis à quoi bon vivre sans quoi que ce soit pour me rattacher à ce monde de merde.

Les oiseaux avaient beau chanter, la paix avait beau être une belle illusion dans le monde, je demeurais esseulé, enfermé dans cette bulle de tristesse. Une tache sur une toile parfaite.

Tu racontes quoi de beau ?

Discussion banale mais pas sans saveur puisqu'il s'agissait de lui. Je devrais me réjouir de le recroiser enfin après tant d'années passées sans réellement se croiser. Mais je n'étais guère dans les effusions de sentiments et je préférais de loin me tenir à mille lieues de tout ça.

Alors, mon vieil ami, viendras-tu consoler mon vieux coeur meurtri ? As-tu des chagrins à noyer, toi aussi ?

Je soupire. Finalement, il ne faisait pas si beau que ça...

Je ris, doucement. Elijah était le genre de gars avec qui les barrières tombaient. Bien qu'on évitait certains sujets sensibles qui pouvaient mener à des discussions musclées. Mais en règle générale, on finissait toujours par se réconcilier autour d'une bonne pinte. Le gardien de la paix que j'étais fini par tourner la tête vers ce vieux bougre d'Elijah. Toujours aussi bien habillé, aussi classieux. Il pouvait se le permettre, moi pas. Puis l'apparence était une chose bien futile.

Je pense que je préfère quand même la cuite. Eh beh, mon con, t'as pas de chance toi. dis-je en riant de bon coeur cette fois. Il avait le don de me faire oublier mes idées noires assez rapidement. Du moins, c'était temporaire car en générale elles revenaient rapidement à la charge quelques minutes plus tard.

J'inspirais doucement, fixant à nouveau le parc où se promenaient de nombreuses personnes, androïdes comme humains. Je n'étais nullement dérangé par les machines, bien qu'au fond je dissimulais une certaine amertume à leur égard. Question de passé.
Je ne relevais donc pas sa remarque sur ce nouveau bar. En fait, ça m'arrangeais même. Je n'avais rien contre les androïdes mais je préférais tout de même fréquenter un lieu de beuverie exclusivement humain. De toute manière, les machines ne buvaient pas et servaient uniquement au service. Il était beaucoup plus sympa de parler à un vrai barman. Si tu veux mon avis, il faudra qu'on aille l'inspecter de très près. J'espère qu'ils ont de la diversité, j'en ai un peu marre de boire toujours la même chose.

Je soupirais. Le soleil commençait à taper fort mais cela ne me dérangeait guère. J'appréciais, au contraire, ces rares moments de soleil. Toujours enfermé, je n'avais pas l'occasion de profiter du beau temps estival. Cela me manquait, un peu. J'accueillis avec enthousiasme le rafraichissement proposé par ce vieux filou. Il savait penser à tout !

Tu ne perds pas le nord, bien joué ! Santé ! J'approchais ma bouteille de la sienne et trinquais à nos retrouvailles. Dieu que cela faisait du bien de boire quelque chose de frais et d'aussi bon en compagnie d'un très bon ami. Décidément, il avait le don pour me remonter le moral avec peu de choses. Ce serait peut-être temps de penser aux vacances, non ? dis-je sur un ton léger. Privilège qui ne m'était plus autorisé depuis longtemps. Enfin, plutôt, je ne prenais plus le temps de partir en vacances surtout. Je me contentais de ma petite vie tranquille et dépressive. La routine.

Rien, Sumo a encore grossi mais je ne sais absolument pas pourquoi. Ce chien va finir par me tuer... Sinon... toujours plus de dossiers sur des déviants. A la longue ça commence à me fatiguer. Ton sombre. Cette enquête me revenait en tête. Je n'arrivais pas à dénouer les noeuds, à y voir clair et à trouver une explication. Voilà un moment déjà que j'étais sur cette affaire et rien ne semblait avancer. Je bois, profitant de la fraicheur nouvelle de la bière.