Pourquoi rien n'est jamais simple ? [Doc]

Sale journée. Personne ne devrait être dehors par un temps pareil. Il pleut des trombes d'eau, pas une seconde sans qu'un déluge s'abatte et cela depuis ce matin. Alors qu'est-ce que je fais sous ce déluge ? Absolument tout seul et dans un parc ? Et bien je réfléchis et j'ai beaucoup à réfléchir je suis obligé de l'admettre. Beaucoup de choses ont changé en peu de temps dans mon existence et désormais il me fallait sérieusement y réfléchir. Voilà pourquoi j'étais sous ce déluge, les fesses posées sur le haut du dossier d'un banc en bois, les pieds reposant sur l'assise. Non par esprit de rébellion mais les fesses sur les planches en bois de l'assise auraient été détrempées en moins de temps qu'il n'en aurait fallu pour que je m'en rende compte. Je regarde devant moi le petit parc à jeu pour enfants. De quoi ravir les plus petits mais pas par ce temps. Habituellement ce parc est plein de vie, des enfants et des mamans au regard inquiet qui veulent s'assurer que leur petit protégé ne se fera pas mal. Ou des androïdes dont c'était la fonction et qui surveillaient les enfants avec toute l'attention dont ils sont possibles et un regard chaleureux pour ces petites têtes blondes dont ils ont la charge. C'est ici que j'ai observé pour la première fois l'attention que portent les androïdes aux humains, toute l'affection dont ils sont capables pour ces enfants transpiraient et prouvaient que nos androïdes sont bien capables de sentiments et d'émotions. Ils faisaient preuve d'un grand attachement. Voilà pourquoi j'étais venu là.

Seulement je n'avais pas forcément pensé que j'y serai tout seul quand j'y réfléchissais encore il y a quelques mois. Je me voyais ici avec ma femme et notre enfant. Je ne m'y voyais pas tout seul avec un pack de bière dont j'entamais la seconde. La première, vide, avait pris le chemin de la poubelle juste à côté, hors de question de polluer ou de me dire que, de toute façon, il y a des androïdes pour l'entretien du parc. Il y en a justement un qui est en train de ratisser un peu plus loin. Quand à moi et bien je bois une longue gorgée de bière. Je suis trempé, les cheveux dégoulinant, même ma veste en cuir n'arrête pas la pluie qui trempe mon t-shirt, quand à mon jean il est complètement trempé également. Je m'en moque éperdument, mes pensées sont ailleurs, fixées sur bien d'autres choses. Jusqu'à récemment ce parc provoquait en moi de la mélancolie, une tristesse énorme. La tristesse était celle de la perte de ma femme, la mélancolie était celle de cet enfant que j'avais espéré voir grandir et, un jour, jouer dans ce parc. Pourtant, aujourd'hui, les choses étaient un peu différentes, faites de questionnement et d'interrogation.

Toutes ces interrogations avaient un dénominateur commun : Scarlet. L'indécence rousse qui habitait désormais chez moi, une androïde qui semblait s'être libérée de sa programmation, qui me promettait d'être attirée et intriguée par moi, assez pour avoir vraiment l'envie d'être en couple. Seulement je me demandais : était-ce sa programmation qui parlait pour elle ou était-ce vraiment une liberté de sa part ? Qu'elle pouvait vivre avec ses propres envies ? Comment le savoir ? S'il y avait une recette miracle, une question magique, un truc qui me permettrait de savoir qu'elle est véritablement libre de sa programmation, ça serait tellement plus simple. Je termine ma bière, lance la bouteille vers la poubelle et la rate. L'androïde au râteau semble déjà s'en inquiéter mais je me lève et lui fais signe de la main tout en ramassant la bouteille que je laisse tomber dans la poubelle avant de reprendre place sur le banc. J'ouvre une nouvelle bouteille, la fais tourner entre mes doigts tout en soupirant.

« Ah … Ca serait tellement plus simple si tu pouvais me dire être déviante. »

Je pense à Scarlet en disant cela, observant devant moi le parc, je m'imagine m'y promener avec elle, main dans la main. Je devrai lui proposer cela. Peu m'importe le regard qu'on pourrait porter sur moi pour être avec une androïde. Oui. C'est ce que je vais faire. Quand même … Comment savoir si vraiment elle porte des sentiments pour moi ou non.

Bien que la pluie ne dérangeait en rien Doc, il avait pris pour habitude d’imiter les humains. Alors, il faisait comme eux et s’abritait lorsque le temps se faisait mauvais. Ainsi, il attirait moins l’attention que s’il restait sous l’eau. Quel humain resterait volontairement sous la pluie ? Ils avaient l’air de tous détester ça. Pourtant, ils ne risquaient pas de rouiller. Mais en tant que médecin il savait qu’ils pouvaient malheureusement attraper certaines pathologies parfois mortelles. Une bonne pneumonie n’était en rien enviable. Mais il ne comprenait pas encore bien pourquoi certains fuyaient la pluie aux premières gouttes. Ce n’était pas dérangeant. Si ? L’androïde ne cessait de se poser des questions mais pas toujours les bonnes. Même s’il essayait d’imiter les humains, il oubliait qu’il se baladait toujours avec sa diode sur la tempe et qu’en agissant ainsi, il se faisait justement remarquer. Un androïde qui s’abritait de la pluie était pour le moins curieux.

Essayant de se faire petit pour ne pas être trop remarqué, Doc était abrité sous un arbre de Central Park. Par chance, peu de gens passaient par là et il n’était donc pas inquiet qu’on vienne le déranger. Comme il n’avait rien à faire à part attendre que la pluie cesse pour circuler à nouveau, il prit le temps d’observer ce qui était à portée de vue. Les canards ne semblaient pas être dérangés par la pluie eux. Un androïde nettoyait le parc, ne se préoccupant pas du temps. Et non loin, un humain se trouvait là, assis sur un banc en train de boire le contenu d’une canette. Doc haussa légèrement les sourcils. Ca c’était inhabituel. Il avait bien observé les humains et une telle attitude n’était pas normale. Ne sentait-il pas la pluie ? Il avait l’air morose, comme s’il ne faisait pas attention à ce qui l’entourait. Pourtant il fit le déplacement pour ramasser la canette qu’il avait lancé et qui avait atterri en dehors de la poubelle. Cet homme semblait fort curieux aux yeux de l’ancien androïde médecin. Il supposa qu’il était dans un état second, un trouble quelconque. Rien d’autre ne pouvait expliquer cet état étrange. Il ne devait pas se rendre compte qu’il allait tomber malade s’il continuait ainsi. Il devait se mettre à l’abri. Doc agita la main pour lui faire signe mais l’homme ne lui prêtait pas attention, sans doute perdu dans ses pensées.

Après une hésitation, Doc quitta son abri et se dirigea vers l’homme sans pour autant presser le pas. Il restait un androïde qui avait encore des réactions d’androïde, tout déviant qu’il était. Finalement, il se planta devant l’homme, l’observant de plus près.

« Bonjour monsieur. Vous ne devriez pas rester là… Vous allez attraper du mal. Venez au moins vous mettre à l’abri. Cela ne vous empêchera pas de boire votre bière, je vous l’assure. »

La pluie ne me dérange pas, elle ne m'a jamais dérangé, c'est même le contraire, je l'aime, elle a quelque chose de féerique à mon goût. Et puis ce n'est pas une grosse pluie désagréable qui trempe tout en quelques secondes, non, ceux son de belles petites gouttes qui n'ont rien de désagréable. En plus il n'y a pas de vent pour venir fouetter mon visage, pas de vent pour donner un sentiment intense de froid sous cette pluie continue. Alors je ne vois pas pourquoi les gens ont fui le parc dès les premières gouttes. Je n'ai pas l'impression que les gens réalisent combien c'est agréable ou peut-être que je suis juste différent des autres, que j'aime des choses que les autres n'aiment pas. Quoi qu'il en soit, sur ce banc, je peux prendre le temps de cogiter tranquillement, je mets de l'ordre dans mes pensées en buvant tranquillement ma bière. Je me demande ce qui s'est passé dans le centre de traitement des informations de l'androïde qui s'occupe du parc quand je lui fais signe que je m'occupe de ma canette dont j'ai raté le lancer. Ne vous inquiétez pas pour mon saoul, c'est de la bière sans alcool. Je ne cherche pas l'ivresse, j'aime le goût de la bière et c'est fou les progrès qu'on a pu faire dans ce domaine. On est loin de l'eau pétillante avec un sirop de houblon des premières années. Quand je pense que certains tentent même de faire du vin sans alcool. Là par contre on touche le comble du ridicule, qu'y aura-t-il ensuite ? Des digestifs sans alcool ?

« Hein ? »

Je relève la tête que je secoue doucement tout en me répétant les mots qui avaient glissé sur moi alors que j'étais en train de penser à Emilia, à Skylar et à Scarlet. On dit qu'une femme c'est assez pour transformer la vie d'un homme en chaos absolu alors trois … Je cherchais clairement les ennuis. Je regarde l'androïde qui me fait face et je tache de lui sourire, rassurant autant que possible.

« Les apparences sont trompeuses, ce n'est pas la bière qui est important, c'est la pluie. »

Je pensais ce que je disais. La bière je peux en boire quand je veux, il me suffit d'en acheter, la pluie en revanche échappe à tout contrôle. Drôle de métaphore à ne pas faire sur les androïdes et la déviance, n'est-ce pas ? J'étais surpris de l'attention que me portait soudainement l'androïde, après tout je n'étais pas son propriétaire mais on pourra féliciter ce dernier de ne pas lui avoir donné un parapluie. Oui bien sûr, il n'est qu'une machine pourraient dire certains bien-penseurs mais et alors ? Si on les fait ressembler à des humains, pourquoi est-on choqué lorsqu'ils commencent à agir comme des humains ? Qu'ils veulent des choses ? Qu'ils ressentent des émotions ?

« La pluie m'aide à réfléchir et à penser, la bière ce n'est que pour me ramener de temps à temps sur ce banc. Elle ne me saoulera même pas. »

Je tourne la canette pour qu'il voit l'indication "0% Alcool".

« La vérité c'est que les humains fuient la pluie, non pas parce qu'ils n'aiment pas être mouillés mais parce qu'ils n'aiment pas ce qui échappe à leur contrôle. Chacune de ces gouttes fait ce qu'elle a envie, comme elle a envie. Si elle décide de tomber dans un œil ou de rouler le long d'une jour comme une larme. »

Je regarde l'androïde devant moi, me demandant s'il a la moindre idée de ce dont je parle. Scarlet est déviante, je le sais, elle me l'a dit. Pas directement mais elle veut des choses, en ressent d'autres, elle réagit selon sa personne et non sa programmation. Elle n'est même pas consciente d'être sortie de sa programmation et pourtant me le prouve souvent.

« Les gens ont toujours eu peur de ce qui sortait de l'univers : le Blues, le Jazz, le Rock, les extra-terrestres, les langues étrangères, les coutumes des autres pays mais ils se sont toujours faits une raison, ils ont accepté et compris, ils ont évolué. Et pourtant une chose n'a jamais évolué : les humains ont toujours encore peur de ce qui sort de leurs petits habitudes. Sans doute par instinct de survie. Qu'est-ce que vous en pensez ? »