One Hundred Reasons [ft. Isaiah]

Tu te sentais con. Tu sentais la colère, la frustration et toutes les émotions négatives de Grave qui se répercutaient contre toi, comme un miroir. Tu te pouvais rien faire, tu ne voulais rien faire, tu savais que ça aggraverait la situation. C’était ta faute, tu étais idiot. Tu ne pouvais pas lui dire la vérité, tu ne pouvais pas mentir non plus. Quelles étaient les options qu’il te restait ? Eluder les questions, la protéger de toute cette déviance qui frappait dans ton crâne, qui s’infiltrait tel un virus dans tes programmes, qui corrompaient chaque pensée logique et normale que tu pouvais avoir. Tu ne pouvais pas l’exposer à ça, c’était contre la logique des instructions laissées par Richard, il t’avait toujours dit que le jour où il partirait, tu devais protéger Grace, sans l’étouffer. Et pourtant, qu’est-ce que tu faisais là ? Tu l’étouffais dans une bulle dorée parce que tu pensais que c’était pour son bien, sans pour autant faire attention à ce qui était bon pour elle. Tu te sentais terriblement idiot, tellement faible face à ses mots, face à la justice qui ressortait de ses mots. A chaque mot, ton programme se brisait un peu plus, tes sentiments grandissant encore plus, et tu te sentais mourir à chaque véhémence.

Tu restes planté là, dans la cuisine, observant la jeune femme arpenter le chemin jusqu’à sa chambre. Tu essayais juste de faire les choses bien, de marcher droit, de prendre soin d’elle et pourtant… Tu échouais, lamentablement. « Tout ce qui importe, Grace, c’est que tu ailles bien… » Tu soufflas, un murmure dans la nuit, une légère complainte que tu te répétais en boucle en espérant qu’elle s’applique à la réalité sans pour autant qu’elle agisse en conséquence. Tu vis, du coin de l’œil, Spinel qui faisait son chemin jusqu’à la jeune femme, posant son museau humide sur sa jambe. Lui au moins, faisait les choses correctement. Tu ne savais pas ce que tu devais faire. Rester là ? L’aider à rejoindre sa chambre ? Lui avouer toute la vérité de ta condition ? Tu n’en étais pas capable. Tu n’en avais pas le courage. Ce n’était pas tant le fait de lui dire qui était difficile, c’était l’accepter toi-même : accepter que tu n’étais plus un esclave mais un être conscient, vivant, pensant, sensitif et que tu pouvais prendre toi-même tes décisions, que tu pouvais choisir de ta vie. Mais tu avais tellement été commandé et dirigé que cela te paraissait difficile de prendre des décisions par toi-même, envers et contre tout. La seule commande qui demeurait était celle laissée par Richard à sa mort : prendre soin de Grace, la faire grandir sans pour autant l’étouffer dans une bulle dorée que, sans le vouloir, tu entretenais. « Je suis désolé, Grace. Je suis désolé. » Tu lanças, sincèrement, assez fort pour qu’elle l’entende, tandis que tu demeurais dans la cuisine, espérant que le lendemain, tout irait mieux, comme si une douche froid avait effacé la véracité de la soirée. Tu l’observas rejoindre sa chambre, tes muscles incapables de bouger : paralysé par la peur ? Paralysé par l’angoisse, la tristesse, la colère, la frustration, l’incapacité à faire quoi que ce soit. Tu étais un androïde brisé, ne serait-ce pas mieux que tu disparaisses, que quelqu’un prenne ta place et s’occupe véritablement d’elle ? Qu’elle soit traité de meilleure façon que toi tu le pouvais ?

Lorsque tu te décidas a finalement bouger, elle avait disparue, probablement dans sa chambre. Tu soupiras, te retenant au plan de travail de la cuisine pendant que tu régulais tes processeurs pour qu’ils refroidissent un peu, que ton stress descende à nouveau à un niveau gérable pour toi. « Je suis déviant, hein ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire.. Putain. » Tu observas tes mains, dont tu avais retiré la peau synthétique, observant le blanc du plastique avant que ton corps ne se bouge de lui-même pour fermer la porte de la terrasse. Appuyant ta main sur une petite console dans l’entrée, le plastique blanc contrastant avec le noir de l’écran, les lumières des pièces principales s’éteignirent, plongeant l’appartement dans un voile nocturne habituel. Tu passas un regard dans la chambre de Grace pour trouver les lumières éteintes également. Tu retournas dans le salon, dans un silence magistral avant de te laisser tomber dans un fauteuil, ne remarquant que maintenant qu’une larme avait coulé le long de ta joue. Tu appuyas deux doigts contre ta diode, lançant un diagnostic de tes systèmes avant de fermer les yeux, décidant de te mettre en veille jusqu’à l’heure du réveil habituel. Tu voulais tellement oublier cette soirée, tout oublié, revenir à une programmation simple et basique où tu ne pouvais penser par toi-même, où tu devais obligatoirement obéïr pour vivre. C’était tellement plus simple.